Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LE PETIT GARÇON ENCHANTÉ

telli. Fais-moi plaisir : elle habite à côté !

Il fallut céder comme d’habitude. « Je reviendrai. » dis-je à Mme  Alexandreff. Et en hâte je suivis l’enfant. J’aperçus une chèvre ; je dis bonjour au maçon : Thierry avait déjà disparu, appelé par une voix ravissante qui disait : « Trésor, monte vite m’embrasser ! » J’eus tout juste le temps de voir disparaître deux petits pieds, en haut d’un escalier de bois. Mais le maçon bredouillait d’étranges paroles de reconnaissance :

— Monsieur… c’est vous ! C’est vous, le « papa » dont il parle tant ! Quel bonheur de vous voir, puisqu’on vous doit tout, que sans cet enfant la maison serait dans le deuil, et que moi, je demanderais qu’à mourir, après ma petite fille !

Je ne comprenais rien… Comment ! Comment ! je ne savais pas ! Avec une émotion débordante et des gestes tragiques ou comiques, toute une représentation passionnée de ses souvenirs, Fricotelli, le maçon, se dépêcha de me raconter. Flora, sa fille (un ange, une colombe !), avait été emportée par le torrent. On l’en avait tirée, quasi morte. Elle rejetait de l’eau, de l’eau : c’était affreux. Puis, elle n’avait plus bougé. Et elle était pâle, verte, de la couleur du torrent. Le curé, le médecin, le forgeron s’empressaient autour d’elle, — on l’avait couchée sur l’herbe — et le forgeron, le plus fort, lui