Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

— Il se passionne pour la pauvre Russie, ffit-elle d’un ton langoureux. Il se passionne pour l’anglais, ajouta-t-elle avec l’accent de la Tamise. Et il se passionne pour les pigeons français ! Regardez cette photographie, je vais vous raconter une admirable histoire !

Mais d’abord elle me montra son couvre-lit, broderie faite par des paysans d’Ukraine ; des fleurs stylisées, jaunes et vertes. Elle y mit un baiser, poussa un soupir, enfin commença. Ce cher Thierry était amoureux d’une fée… qui habitait là-haut dans la montagne. La fée l’avait emmené, un jour, à M… Des amis lui avaient donné rendez-vous au tir au pigeon. Thierry, entendant ces mots assassins, avait eu un pressentiment, et demandé des explications. La fée avait essayé d’adoucir la vérité ; mais il avait compris, et dit : « Jamais… jamais je n’entrerai ! » Elle avait dû le laisser dans sa voiture. Elle avait de l’appréhension : sûrement, il entendrait les coups de feu ; comment allait-elle le retrouver ? Elle le retrouva débordant de joie ! Et Mme  Serge Alexandreff, à cette minute de l’histoire, en débordait aussi. Thierry s’était sauvé dans le parc, au milieu duquel était le tir. Au premier coup, il s’était bouché les oreilles, en fermant les yeux. Mais au second, qu’avait-il vu ? Un pigeon échappé à la mort, qui de son bec