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LE PETIT GARÇON ENCHANTÉ

Je ne sais pas ce que tu la payes : elle n’a jamais voulu me le dire ; mais c’est trop. Elle n’est pas aimable et le beurre est rance, et elle t’a écrit qu’elle me donnait des crèmes le soir ? Ce n’est pas vrai, papa ! Je n’ai de la crème que si M. le Curé me donne dix en latin, et comme je n’aime pas le latin, je n’ai jamais dix et jamais de crème ! Mais toi, tu payes la crème ! Alors, qu’elle te l’envoie !

J’étais ravi… et décontenancé. Quel feu ! Quel flot de paroles ! Et tout ensemble, que d’enfantillages mais quel jugement ! Je le pris, je le serrai contre moi. Une émotion me gagnait, en retrouvant la chaleur de ce petit homme, que je voyais développé, plus musclé, si ardent ! Je l’embrassais comme une mère aurait fait, dans le cou, sur le front, sur les yeux. Je lui dis :

— Tu sens bon, Thierry ; tu sens le lapin de garenne. Mais, tu n’es qu’un fou ! Veux-tu te calmer ! Comme tu t’agites !

— Je t’attends depuis deux jours, papa !

— Ah ! celle-là est bien bonne ! Je t’offrais de venir hier, dis donc, petit monstre !

— Hier ! C’était impossible, papa. Hier, j’avais la visite d’une dame que j’aime, et à qui je dois trois mille francs !

Cette fois, je restai sans voix… Puis, comme ces propos s’échangeaient sur la