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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

m’affirmant : « Nous préparons de petits bergers ! » On me parlait de l’armée, pour me signaler qu’elle est inoffensive. On philosophait sur la guerre et la paix, en précisant que la première est impossible à cause de ce qu’elle coûte, puis… était-ce le regret de cet état de choses ou l’espoir de le voir changer, on gémissait soudain, et on se mettait à mendier, sans fierté, sans pudeur, en m’étalant l’immense, l’effrayante pauvreté de l’Allemagne !

Toutes ces scènes, que de fois me les a-t-on jouées ? À Munich, à Berlin, à Francfort, à Hambourg ! Que de fois me suis-je demandé si je devais rire, répondre, croire, hausser les épaules ! La vérité, c’est que parmi ces aimables gens, j’ai tout le long de mon voyage éprouvé un malaise indicible. Et je crois que toute âme nettement française l’éprouverait comme moi. Causer avec les Allemands… ce n’est possible qu’en imagination ! Nous n’avons ni idées ni sentiments qui puissent être échangés. Échangeons du fer, du charbon, des pommes de terre, de la volaille. Faisons du commerce ; mais de loin. De près, je ne réussis pas à m’abandonner… Eux non plus.

M. Kiss, dans son bureau de propagande pour la joie, m’a assuré ingénument que l’Allemagne ne désirait plus conquérir la France, et comme je hochais la tête, il a dit :