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ALLEMAGNE

Allemands qui croient tenir la beauté, ne tiennent rien, puisqu’elle meurt en les rencontrant.

Illusion. Duperie ! Les pauvres à qui on promet le plaisir des riches ne l’ont jamais. Ils ne peuvent pas l’avoir. Ils en connaissent un autre. On les mène sur une plage : ils se baignent les pieds à trois cent mille ; ils ont la satisfaction des pieds dans l’eau. Mais comment éprouveraient-ils le haut plaisir de goûter la nature, qui, en femme honnête, se refuse à trois cent mille personnes ? L’organisation des loisirs ne procure pas de joies raffinées à ceux qui n’en ont pas ; elle les enlève à ceux qui en avaient. Quand on est Norvégien, et qu’il débarque trois cent mille Allemands, il ne reste qu’à quitter la Norvège et à renoncer à la solitude qu’on y goûtait. Ces grands régimes de troupeaux dirigés blessent mortellement les délicats. Le monde moderne n’est pas pour eux.

Ai-je eu tort de le faire remarquer — oh ! pas devant M. Kiss, il ne m’aurait pas entendu ! — mais devant M. Rimmermann ? Il a paru interdit, puis ayant réfléchi, m’a affirmé :

— Il y a des compensations ! De cette joie forcée, de ces loisirs de masses, de tout ce qui vous paraît laideur et pauvreté, nous tirons, nous, monsieur, une beauté patriotique, car nous en retirons une patrie plus