ment obsédés par cet Hitler et ce Mussolini ! Je me rappelais que sur la première des maisons italiennes j’avais trouvé la pensée du Duce au-dessus de sa signature. Passé le pont de Kehl, j’ai cherché l’autre ; mais cette fois j’ai rencontré le passé ; il est encore là ; tout n’est pas changé ; tout n’est pas conquis ; il y a la vieille Allemagne du Sud, intacte, rêveuse et triste, avec ses villages qui sont tous de petites villes, ordonnées, repeintes de la veille, ses maisons lourdes, ses cultivateurs engoncés dans leurs bottes et leurs tabliers de cuir, sous des casquettes rigides. Toutes les petites filles ont deux nattes et une robe verte. Tous les petits garçons sortent de l’école, quand on passe. Le sac qu’ils ont sur le dos comporte un entourage en peau de vache. Toutes les vieilles femmes s’agitent avec un balai. Les toits sont épais, les volets massifs ; pas une maison qui n’ait son jardinet, où chaque caillou luisant a dû être astiqué, le matin même. Dès qu’on est dans la campagne, apparaissent les sapins : des forêts de sapins, des fourrés de sapins, des parcs en sapins, des collines couvertes de sapins, des routes bordées par des sapins, des sapins isolés, enfin tous les genres et assemblages qui se puissent voir et concevoir en fait de sapins ! Très loin d’Hitler, j’ai pensé toute une journée, à Hermann et Dorothée… Dans cet ordre mélancolique,
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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ