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RELIGIONS

— Ça vient de naître, et ça voudrait mener le monde ! Quand ils auront comme moi trente ans de travail dans les pieds, et élevé six enfants qui ont tous un métier dans les mains, alors peut-être, je leur donnerai ma considération !

Cette femme m’aurait rendu de la bonne humeur, si trois cents mètres plus loin, je n’étais tombé sur des échappés de la Salpêtrière, qui criaient sur le même ton : « Des retraites aux vieillards ! Des retraites aux vieillards ! » Sexagénaires hébétés, après des adolescents obtus. Je me dis : « Quel régime ! » J’entre dans un café. Il traîne sur une table un journal du soir. Les gros titres, les photographies confuses, les annonces obscènes, les échos menteurs, le roman pseudo-historique, tout est à donner des nausées ! Je m’enfuis ; je passe devant une boutique de parfumerie-mercerie. Parmi des flacons et des jarretelles je vois des livres : je m’arrête. La Chartreuse de Parme trône au-dessus d’un soutien-gorge, près d’une brochure intitulée : « Ton corps est à toi ; tu n’enfanteras que si tu veux bien. » J’entre encore. Au milieu de pelotes de fil, de chemises et de corsets, je trouve deux petits vieux inoffensifs, morts depuis longtemps, mais qu’on n’est jamais venu chercher. Je dis, en montrant la brochure : « Ce sont bien, n’est-ce pas, des conseils pour l’avortement ? » La petite vieille