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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

de la poste : « Reims, sa cathédrale, son champagne. » J’aurais voulu être chez le Ministre, et lui tirer les oreilles, en l’appelant : « Petit mufle ! » Comme ç’eût été exagéré ! Ma révolte ingénue aurait révolté la plupart de Messieurs les ecclésiastiques. Pauvre clergé ! Je viens d’assister à ce qu’on appelle encore une messe dans une paroisse de Paris. Rien n’y a plus aucun sens… comme à la gare d’Orsay. Je le signale simplement, sans rien décrire. Une description ne redonnerait pas de l’esprit à ceux qui en manquent. Je le signale, parce que mon amertume a eu des conséquences. Quand j’ai été sage quelque temps — est-ce manque de force, ou bien excès de tempérament ? — mon sang s’échauffe, mes idées s’assemblent, mes paroles se précipitent. Aujourd’hui, je regrette ce que j’ai fait hier. Je dis : « À quoi bon ? » Hier, rien ne m’aurait arrêté !

Vers la fin de l’après-midi, j’avais subi, c’est vrai, l’agacement de deux rencontres stupides. D’abord, un cortège d’épiciers grévistes, qui promenaient des écriteaux, hurlant sur l’air des lampions : « Appliquez les lois ! Appliquez les lois ! » Je regardais ces ahuris barrer la rue, assourdir les passants, croyant nous intéresser à leurs intérêts. Le plus âgé n’avait pas vingt ans. Une femme du peuple, qui portait une lourde charge, haussa les épaules et dit :