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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

n’importe quoi, était le premier des droits.

— Ce qui n’est pas vrai ! lui dis-je vivement. La preuve, c’est que vous trouvez bon qu’on enferme les fous, et ce sont les plus authentiques des libres penseurs !

— Oh ! pardon, pardon ! reprit Cafaret qui pour la première fois prit un ton passionné, je suis receveur des postes, mais je n’accepterais pas, vu que je juge que c’est une situation incompatible avec la dignité humaine, d’être directeur d’un asile d’aliénés !

— Alors, lui dis-je, si vous respectez toutes les pensées, je ne dis pas : « Donnez l’ordre » mais « Conseillez à…

— Brutedeveau.

— De ne pas se dresser contre la nôtre, en ne l’imprimant pas !

— C’est qu’il y a la sienne, que la Ligue des Droits de l’homme respecte aussi.

— Pourtant, quelqu’un se trompe, lui ou nous !

— La Ligue des Droits de l’homme a été fondée pour respecter aussi celui qui se trompe.

Cafaret avait redressé la tête sur cette déclatation capitale. Je me levai brusquement, m’excusai d’être venu, et sortis.

Il faisait une soirée de juillet triomphale ! Le village était doré, et les champs rayonnaient. Le soleil paraissait le glorieux époux de la terre ; on eût dit qu’il venait de l’épouser