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CHAPITRE QUATRIÈME

Il poussait aussi à l’extrême la passion des parades : le soldat était son joujou. Il consacrait des sommes énormes, qui auraient trouvé ailleurs un plus utile emploi, à entretenir sur pied de guerre une immense armée : il exagérait la pensée de Pierre le Grand et maintenait la nation enrégimentée et disciplinée comme l’armée elle-même. Tout le monde portait l’uniforme : on rencontrait des cadets de sept ans, coiffés d’un casque et faisant front gravement devant les officiers qui passaient dans la rue. Les domestiques des officiers montaient eux-mêmes, casque en tête, derrière la voiture de leurs maîtres.

Cependant le peuple russe, doux, enclin à la mollesse, était loin d’être belliqueux. S’il se battait avec bravoure, c’est que depuis longtemps il était façonné par la force à l’obéissance passive.

La passion militaire de l’Empereur l’empêchait de s’occuper des sciences et des arts, pour lesquels il n’avait aucune aptitude. Il était ordinairement de la plus exquise politesse, mais, quand il se mettait en colère, il devenait d’une dureté excessive, voulant, sans avoir d’égards ni de ménagements pour personne, que tout fléchît devant lui et obéit à ses ordres. Il est vrai que ses colères avaient presque toujours une cause très noble ; elles venaient du désir de corriger des abus invétérés qui ne pouvaient