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Je me rappelais comment l’étrange influence s’était emparée de moi, la douceur que je lui avais trouvée, la force qu’elle m’avait prêtée un instant, l’agréable vertige où elle m’avait plongé, la gaieté qu’elle m’avait rendue, en face de la plus horrible des situations ; mais je ne savais pas la durée de ce moment d’oubli, qui me paraissait un songe.

Que tout cela vint à se renouveler, moins la circonstance favorable à laquelle je devais mon salut ; qu’au lieu de sortir pour aller boire, je m’évanouisse dans la futaille, et le dénoûment était facile à prédire. Je pouvais cette fois ne pas avoir soif, ou ne pas l’éprouver d’une manière assez violente pour triompher de l’engourdissement qui m’aurait saisi. Bref, l’entreprise était si chanceuse que je n’osai pas m’aventurer.

Cependant il le fallait, sous peine de m’éteindre à la place où j’étais alors. Mourir pour mourir, il valait cent fois mieux ne pas se réveiller de son ivresse, que d’avoir à supporter les horreurs de la faim.

Cette réflexion me rendit toute mon audace. Il n’y avait pas à hésiter ; je fis une nouvelle prière, et me glissai dans la pipe où avait été l’eau-de-vie.