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dans d’autres cas, les qualités apparentes dont il est doué. Telle est la manière selon laquelle l’idée mythique s’établit dans l’esprit. Mais comment s’y développera-t-elle ? C’est maintenant qu’intervient le rôle du langage. Le soleil a un nom qui était d’abord une épithète ; il faut ajouter que, susceptible de recevoir différentes épithètes, il a eu de très bonne heure différents noms. Ce fait est déjà la source de ce qu’on peut appeler la multiplication synonymique du mythe-soleil : il sera tout à la fois le lumineux, l’ardent, le brûlant, l’échauffant, l’éblouissant personnifié. De cette façon, un seul mythe psychologique se présente sous les traits de plusieurs mythes nominaux qui revêtent pour l’imagination, à l’aide de leurs noms mêmes, une physionomie personnelle et distincte et assument un commencement de caractère : sur l’écran du vocable, le brûlant prend un autre aspect que le brillant, bien que l’un et l’autre apparaissent sous la figure à la fois dévorante et resplendissante du soleil quand on écarte le voile de l’appellatif qui la recouvre.

Mais la cause qui multiplie les faces de l’illusion mythique initiale ne borne pas là ses effets. Nous avons déjà vu que le sens des mots est soumis à des changements réguliers. En vertu de ce phénomène, les mêmes mots peuvent représenter, à différentes époques, des idées différentes. C’est ainsi, du reste, que les sens métaphoriques apparaissent auprès des sens propres et souvent s’y substituent. Les exemples de ces transitions significatives sont innombrables ; je me bornerai à en citer deux, ce sont celles qui ont fait passer dans une infinité de cas, et sous le couvert du même mot, l’idée de brillant à l’idée d’éclairé, lucide, voyant, intelligent, et l’idée de brûlant à l’idée d’ardent, échauffé, excité, impétueux, actif, énergique, puissant. Il est facile de se rendre compte de l’effet de ce phénomène sur le développement mythique. Après que les épithètes ont eu, pour ainsi dire, tiré le mythe primitif à plusieurs exemplaires, chacun de ceux-ci s’est nuancé de teintes diverses par l’effet des métaphores et a pris ainsi, eu égard aux autres, un relief plus accusé et des traits plus personnels. C’est ainsi qu’Indra le brûlant, l’ardent (racine nd, brûler), devient le vaillant.