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jeter beaucoup de lumière sur les origines, toujours fort éloignées, comme on sait, d’une systématisation quelconque ?

Je suis d’autant plus disposé à répondre de mon mieux aux questions de ce genre qu’ayant déjà parlé autrefois de l’importance que j’attache à l’archaïsme du Rig-Véda, j’ai été taxé à ce propos d’exagération par un rédacteur du Literarisches Centralblatt. Mon critique jouit, à ce qu’il paraît, d’une telle autorité en Allemagne qu’il a pu se dispenser de donner les raisons de sa censure. Je dois reconnaître humblement que je ne suis pas dans la même situation, et je suis heureux que l’occasion se présente pour moi de réitérer celles que j’ai pour persister dans mon sentiment.

Oui, et malgré tout, les idées védiques sont très anciennes ; non pas par suite d’une antiquité qui se mesure au nombre des siècles écoulés, car, à ce compte-là, elles le céderaient sans doute à certaines parties du Vieux-Testament et surtout à la plupart de celles qu’expriment les textes religieux de l’Égypte et de l’Assyrie. Mais si les hymnes du Rig-Véda ne remontent guère, d’après l’appréciation ordinaire (probablement trop faible, il est vrai), qu’à mille ou douze cents ans avant notre ère, combien est primitif, comparativement à celui des auteurs bibliques ou des rapsodes du temps d’Homère, l’état d’esprit des poètes à demi-mythiques auxquels on les attribue ! Il suffit, pour s’en convaincre, de mettre en parallèle leurs divinités réciproques. J’ai déjà parlé de la distance qui sépare Indra de Zeus, malgré la certitude de leur identité originelle : non seulement le premier est sauvage d’allures, auprès de la majestueuse attitude du maître du tonnerre ; mais au point de vue purement plastique il est informe. On dirait, à le voir se dessiner vaguement au sein du nuage qu’il entr’ouvre avec le vajra, la grossière ébauche d’un sculpteur préhistorique, tandis que le père des dieux et des hommes du chantre de l’Iliade semble déjà tracé d’après la statue de Phidias. Pour ce qui est des dieux sémites dont il est question dans la Bible, je comprends parfaitement l’anathème porté naguère par un critique[1] contre quiconque tenterait de les expliquer par des hypo-

  1. Voir Revue critique, no du 22 avril 1889, p. 303.