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gence la plus lucide, alors de son œuvre, embryonnaire mais vivante ; raison, analyse : c’est l’agent intellectuel qui viendra pour le service de l’agent passionnel, mais il est enfanté par lui.

En un mot, les nerfs de l’artiste, sa sensibilité, sa nature même se chargent de l’importante affaire de création.



Une pensée, ça ne peut pas devenir œuvre d’art, sauf en littérature. L’art n’emprunte rien à la philosophie, non plus.



Tous les conseils nous choquent, mais ils font réfléchir.



Voyager, c’est prendre contact avec certains lieux évocateurs de notre propre vie ; je le sentis à Venise.



A Madame Violet. — L’intelligence est la faculté de comprendre. L’homme intelligent est capable d’abstraction, de généralisation ; il est apte à découvrir les lois et n’a d’autre souci que la recherche des causes.

L’homme intellectuel, c’est-à-dire qualifié intellectuel, se délecte des produits de l’esprit et de l’art, c’est-à-dire de la culture morale de l’homme. C’est un être passif et délicat, détourné de toute recherche ; il goûte, compare, analyse, et, ne prenant parti ni pour ni contre, ce détachement même est un plaisir. Intellectualisme est synonyme de raffinement, de distinction, de délectation, de dilettantisme. Tandis que l’homme intelligent, dont l’incarnation la plus complète est le savant, le philosophe, ne peut résoudre le problème qu’il embrasse et dont la grandeur l’écrase, que dans une humeur grave, teintée de quelque amer-