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l'idée et lui donne, pour ainsi parler, de la chair et du sang. Cela n’a rien à démêler avec l’anecdote.

Presque tous les chefs-d’œuvre de la Renaissance expriment une idée littéraire, et souvent même chez les peintres français, une idée philosophique. L’art uniquement pittoresque est en infériorité, et ce n’est pas sans justesse que la Hollande et l’Espagne n’ont ni l’éclat ni le prestige de l’art italien.



Dimension. Ses Rapports avec le sujet.

On peut voir chez les plus grands maîtres une exubérance dans les moyens dont ils semblent ne pas se rendre compte. Leurs forces les portent trop loin ; très souvent, ils dépassent les limites matérielles en lesquelles ils devraient encadrer leurs pensées : l’exagération dans laquelle ils tombent alors le plus facilement est dans une dimension excessive de la surface peinte ou dessinée. Avant ou après avoir trouvé la mesure exacte pour la représentation de leurs sujets, et même simultanément, il leur arrive de la dépasser, de ne point s’y borner. C’est le génie qui foisonne, et produit des fruits abondants et moins excellents.

Ainsi fit Durer lorsqu’il grava sur bois des dessins si grands qu’ils étaient destinés à la décoration des appartements plus que du livre. Rembrandt, malgré son génie de l’eau-forte, ne put s’empêcher de tenter des planches très grandes ; et il est facile de juger combien celles-ci sont loin de la perfection qui brille dans les planches de dimension ordinaire.

Ainsi, pour les peintres, et plus encore, car il est plus facile dans cet art évidemment moins limité que la gravure, de se laisser aller au charme, à l’appétit de la production en grand.

Les œuvres les plus parfaites ont été produites dans une dimension, que le goût et le raisonnement indiquent : mais ces dimensions qu’un artiste médiocre trouve avec facilité semblent chez les