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pas pour le génie. L’art est une fleur qui s’épanouit librement hors de toute règle ; il dérange singulièrement, ce me semble, l’analyse au microscope de savants esthéticiens qui l’expliquent. Les races peut-être, la délicate étude des tempéraments et de leur fusion dans un peuple pourra fournir une explication péremptoire, et sans appel, lorsque l’on parlera de Rembrandt, de Shakespeare ou de Michel-Ange, ces prophètes. Frans Hals, qui ne l’est pas, est pourtant l’homme le plus puissant qui ait traduit la vie animale au paroxysme.



27 Juillet. — Je revois les Hals, ils me semblent maintenant à cent mille coudées au-dessous de Rembrandt, qui est haut comme une montagne. De la vie et encore de la vie, mais seulement de la vie animale. J’interroge ces têtes, elles ne me disent rien, je les vois vivre de la vie des bêtes : le souvenir des syndics exécutés dans le souvenir des tableaux de Hals que Rembrandt a dû connaître ou dont il a vu sûrement les ouvrages, me domine aujourd’hui.

Dans sa dernière manière seulement, Hals me paraît avoir atteint la supériorité. Est-ce faiblesse de main, est-ce une décroissance par trop sensible des forces physiques de cet excellent ouvrier, il y a tout d’abord dans les travaux qui datent des dernières années de sa vie, un amollissement très marqué dans l’exécution ; mais quelle singulière aisance, quel dédain du détail, quelle force à voir vite et finalement et grandement la réalité réelle. Il y a là un œil dont on sent le paroxysme de la puissance. Vers la fin. Hals est un maître. Il a, de plus, à ce moment, un rapport avec quelques peintres français contemporains qui charme. Y aurait-il eu imitation par ces derniers ? Non. Il y aurait à établir comparaison entre les intransigeants et ces œuvres : on y trouverait ce qu’il y a de légitime, de sincère et de neuf dans les recherches des réalistes français.