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basque est pour moi comme une patrie ancienne où, certainement, j’ai vécu, souffert et aimé. Il n’est pas le plus petit souffle de ses brises, le moindre bruit de ses eaux, la plus simple de ses voix charmantes qui n’éveillent en mon cœur d’incompréhensibles harmonies et comme des souvenirs de mon berceau. Tout ce qui est de lui m’attendrit et me transporte. Je garderai longtemps l’impression rapide de ce court voyage. Je désire que le bonheur m’y ramène avec ceux qui me seront chers chez les pauvres.

Troisième jour. — Il est dommage de voir se perdre certaines grandeurs de nos traditions et de notre héritage. Domaines et châteaux et même les noms lointains que notre histoire illustre n’ont plus de grandeur ni de tenue. Des fils bourgeois et prosaïques disposent à leur gré, sans religion ni poésie, de ces restes précieux si bien faits pour leur inspirer le désir de les occuper avec fierté et hauteur. Mais il semble qu’on soit aujourd’hui de passage ; ils ne sont pas chez eux. La plupart logent dans ces sombres et hautes murailles comme ils seraient dans une auberge qu’ils vont tout à l’heure quitter. Ils parlent d’art pour nous donner le change : les vœux d’égalité sont le tombeau de la pensée ; ils le disent sans le comprendre ; ils ignorent et ne voient point ces œuvres mêmes que les autres leur ont léguées. Ils piétinent sur la beauté ; leurs mains brusques éraillent la toile inspirée que leurs yeux obstinés ne sauraient voir. Ils mettent sans pudeur le marteau sur les pans de ces murs antiques pour les former à leurs usages, croyant vivre avec originalité ; ne sachant pas qu’ils subissent, avec une irréparable faiblesse, les mœurs et les actes de ceux qui avaient plus crié qu’eux. Cet épanouissement banal de la richesse basse et sans instinct des grandes choses, inspire aux autres un jugement vrai. C’est parmi elle que sont les pauvres et ce sont les seuls qu’il est juste de ne pas secourir. Les riches sont les avides de vérité, les plus comblés d’intelligence, des dons du cœur aussi.

Eternelle misère des uns, illusion des autres, rencontre douloureuse de ceux qui croient se consoler de la vie en occupant