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âmes serait infinie. Il y a une puissance de bonheur qui ne peut être atteinte que là. O femmes, ô montagnes, quel monde est le plus grand ? On répondrait selon les jours et le temps. Ces cimes à vingt ans me ravissaient avec persistance ; dix ans plus tard, je suis resté plus tendrement bercé au bord des eaux si claires qui baignent leurs racines. A l’ombre de ces vertes collines qu’autrefois j’avais vues desséchées par les ouragans d’hiver, le désir m’est venu de me recueillir ; j’ai vu moins grand et plus profond. Est-ce faiblesse ? Qui le dira ? Les ailes ne sont pas à ceux dont le regard ne s’élève plus vers l’espace. Il y a du cœur, de la bonté à reposer ses yeux sur la nature amie et vivante qui nous assure dans notre destinée moins d’esprit et plus d’amour dans tout ce qui est directement du cœur.

Je suis descendu de ces vertes collines pour aller tout en bas ; et ces premiers moments d’admiration ont insensiblement changé. A mesure que ma vue s’est détournée du ciel, elle s’est appuyée sur l’homme. Si bien qu’en dix jours, j’ai fait le voyage du pays des rêves à celui de la réalité. Il y a peut-être une loi mystérieuse et consolante dans les ressources de la vie qui nous fait descendre dans l’intimité humaine à mesure que nous quittons celle du dehors.

Il est étrange que l’impression dominante que je rapporte de ce pays des grands horizons, est une impression d’amour. Je termine et résume ces journées en élevant mon esprit à cet être mystérieux et charmant que Dieu plaça près de nous pour nos joies et nos peines, et je vénère avec émotion tout ce qui vient du cœur quand il est simple, silencieux et confiant. Il y a une volupté fine et attendrissante à pénétrer les caractères à travers les dehors si variés des conditions humaines. Celle des pauvres est la plus attachante et, parmi eux, celle des jeunes filles : ce qu’il y a de plus attendrissant et de plus doux. Il y a aussi pour chacun des prédilections particulières ; peut-être avons-nous parmi la terre des attaches intimes pour les lieux où nous avons vécu. Le sol