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1872, Juin. — De toutes les situations morales les plus propices aux productions de l’art ou de la pensée, il n’en est pas de plus fécondes que les grandes douleurs patriotiques. C’est qu’en effet, les différends suprêmes qui naissent entre les peuples si divers dans leurs aspirations et leurs tendances, créent chez les individus qui les composent des préoccupations d’un ordre très élevé. Quand elles se résolvent par le sort des armes, c’est-à-dire par les risques de la mort, chacun de nous a dans une mesure quelconque fait un sacrifice utile à son élévation morale. Ces généreuses angoisses dépassent alors de bien haut, la zone étroite et confuse de nos préoccupations personnelles et dirigent nos sentiments vers une fin meilleure. Elles élèvent les cœurs, éclairent la conscience, stimulent la volonté, développent l’intelligence : les mots humanité, patrie, honneur, devoir reprennent pour chacun leur signification véritable. Elles font enfin que l’activité des esprits s’éloigne des faits particuliers pour s’élever vers des notions plus abstraites et plus générales.

À l’appui de ces réflexions, on peut voir que les plus importants mouvements artistiques et nos plus grands épanouissements ont suivi de très près nos victoires et les désastres, et que dans l’intimité de notre évolution sociale, au cœur même de notre heureuse ou malheureuse patrie, l’ère du progrès et de la foi a suivi de très près l’heure solennelle et décisive de nos suprêmes révolutions.

Un observateur attentif pourrait voir à cette heure dans les productions de la pensée un caractère nouveau qui reflète dans une certaine mesure l’état moral du pays.

Vous avez la bonté propice et souveraine. Vous donnerez la vie à ceux qui vous approchent en élevant l’esprit, le cœur et tout ce qu’il désire.

Créature exquise, heureuse et charmante, votre approche