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quelques hommes : c’étaient les prophètes. Leur empire était légitime et la pression divine qu’ils exerçaient sur les autres était féconde et nécessaire. Mais les jours viennent où l’unanimité des vœux fera de la loi une expression docile de la grande conscience humaine et par conséquent le seul mobile de la liberté.



18 Août. — Ne nous décourageons pas, voyons un peu les autres et nous verrons qu’ils ont tous une large part de tribulations et d’ennuis. Ce n’est pas avec l’or que nous comptons sans cesse, mais avec d’autres rigueurs. Nous comptons avec la maladie, avec le monde, avec le temps et les années ; nous comptons avec nos amitiés qui s’éloignent ; nous comptons avec le cœur aussi ; et certes n’a-t-il pas ses raisons mystérieuses et son empire qui trouble les plus beaux jours ? Ne nous plaignons donc pas : le dur effort de la vie matérielle n’est pas le plus pénible. Je vous désire le pain sec, le pain dur, mais un cœur content.

D’ailleurs avec les ans qui nous surprennent survient aussi certaine sagesse qui fait l’obstacle moins lourd et le travail plus facile. Et l’étude, et les progrès ? Voilà les compensations qui nous sont acquises pour longtemps, pour toujours, et pour se renouveler encore.

On reconnaît un homme au choix qu’il fait de sa compagne, de son épouse. Toute femme explique l’homme dont elle est aimée, et celui-là réciproquement, peut révéler le caractère de celle-là. Il est rare à l’observateur de ne point trouver entre eux une foule de liens intimes et délicats qui lui rendront plus facile l’étude de la vie et la compréhension du cœur d ’autrui. Je crois que le plus grand bonheur sera toujours le fruit de la complète harmonie et le mal-être moral naîtra toujours en ceux qui n’ont point cédé. Le plus aimé des deux est le plus près de la perfection. Mais une parfaite union ne peut vraiment naître que dans le mérite ; elle prouve de part et d’autre une intelligence constante des droits réciproques