Je dois donc aux entretiens de cet ami, d’une intelligence si lucide, les premiers exercices de mon esprit et de mon goût, les meilleurs, peut-être, bien qu’il envisageât avec crainte les essais infructueux que je tentais alors dans mon art. Il me préférait occupé de lectures, peut-être à écrire, je ne sais.
Je le vis toujours lui aussi plus tard, lors de mes venues à Paris. Il était, quand je revenais à Bordeaux, mon refuge. Lorsqu’il mourut il y a quelques années, je sentis, soudain, qu’un appui me manquait. Sa mort me laissa un malaise. Je fus dans un litige, litige douloureux et sans issue devant l’inexorable. Je voudrais maintenant lui donner ma pensée résolue, et plus sûre qu’autrefois. Il ne connut de moi que la sensibilité d’un être flottant, contemplatif, tout enveloppé de ses rêves. Lui, plus âgé que moi, dont l’instruction était forte et solidifiée de sciences, malgré son idéalisme, il était comme un bloc ; je l’écoutais.
Voici quelques paroles de lui que j’ai notées :
« Le beau est l’évolution libre, aisée de la force (force considérée ici comme bienfaisante). »
« Le laid est le triomphe de l’obstacle, ou le triomphe de la force malfaisante. »
« Il y a l’élément statique et l’élément dynamique ; la beauté peut être calme et représenter le repos ou bien représenter le mouvement et la vie. »
« Si je dis que le beau est le libre essor de la vie, la définition n’est point rigoureusement juste, parce que si je regarde un soleil couchant, une belle ligne de montagnes, ces objets ne sont pas vivants dans la parfaite acception du mot : le mot force convient mieux à la définition, le terme est plus général. »
« Le sublime est une évolution de la force bienfaisante mêlée à l’idée de réussite, de bien général, de justice. »
« L’apothéose (ou faux sublime) est l’essor de la personne humaine, dans un sens personnel, égoïste, limitée dans le moi : c’est du pur égoïsme. »