à demi sauvages, qu’on réservait autrefois pour le service de tout domaine : un reste de solennelle grandeur, décor naturel, sans convention et sans lignes, taillé sans pénurie à larges coupes, en plein bois ou forêt vierge peut-être, à travers des terres qu’on ne mesurait pas.
Je fus confié là, dans ce vieux manoir, au sortir de la nourrice, à la garde d’un vieil oncle, régisseur alors du domaine, et dont la physionomie débonnaire aux yeux bleus tient grande place dans les souvenirs de mon enfance.
Si j’interroge ces souvenirs autant qu’il est possible de faire renaître des états lointains d’une conscience aujourd’hui défunte, et par les changements de sa survie, je me vois alors triste et faible. Je me vois regardeur prenant plaisir au silence. Enfant, je recherchais les ombres ; je me souviens d’avoir pris des joies profondes et singulières à me cacher sous les grands rideaux, aux coins sombres de la maison, dans la pièce de mes jeux. Et au dehors, dans la campagne, quelle fascination le ciel exerça sur moi !
Très tard aussi, longtemps après — je n’ose dire à quel âge, car vous me traiteriez d’homme incomplet — j’ai passé des heures, ou plutôt tout le jour, étendu sur le sol, aux lieux déserts de la campagne, à regarder passer les nuages, à suivre, avec un plaisir infini, les éclats féeriques de leurs fugaces changements. Je ne vivais qu’en moi, avec une répulsion pour tout effort physique.
Les sensations reçues et dont il me reste un souvenir lointain sont celles de mes jeux avec les petits enfants de la maison, au milieu desquels on me laissait fort libre. Période confuse, d’où la mémoire me sert assez mal, et qui ne refléterait d’ailleurs ici que peu de chose, sinon les ébats éternels de l’enfance, loin des contraintes de la ville et de ses gênes.
J’étais tranquille, point batailleur, inhabile aux entreprises des vagabondages par les champs où les autres me conduisaient. J’étais plutôt confiné dans les cours ou le jardin, et occupé de jeux paisibles.