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Voici les derniers mots qui m’expliquent et me résument[1] :

L’œuvre d’art naît de trois sources, de trois causes :

De la tradition qui vient du fond primordial et des acquisitions constantes faites par les hommes de génie qui nous lèguent incessamment dans le temps la vie morale et pensante de l’Humanité tout entière dont le grand livre, écrit en lettres vitales parce qu’elles sont de leur sang, est ouvert constamment devant nous dans nos temples, sur nos murs, dans toute œuvre d’art réellement sincère et sentie et par laquelle nous reconnaissons notre propre noblesse, notre grandeur. C’est par elle que l’on constate le respect toujours dû à ceux qui enseignent. Et j’entends par ceux-ci tous les amis sévères de la beauté et de l’idéal, tous ceux qui l’admirent et la vénèrent, dont un seul mot d’admiration peut nous révéler des champs nouveaux de la vérité.

Toute la mission du corps enseignant, Académie, Institut, est seulement comprise dans la conscience qu’il a de garder ce dépôt vraiment sacré, et en cela je reconnais ouvertement, contrairement à toute une école contemporaine, la légitimité et l’intégrité de sa durée, à la condition toutefois que les hommes qui la représentent soient eux-mêmes ses fidèles et sévères disciples.

De la réalité, ou en d’autres termes de la Nature, qui est un pur moyen pour exprimer notre sentiment et le communiquer à nos semblables et hors duquel notre propre ambition de créer reste à l’état de rêve, d’abstraction, et en quelque sorte de simple palpitation de la vie qui n’a point sans cela de parfait organe pour apparaître fortement, pleinement, dans toute la clarté et la pureté de son expression suprême.

Enfin de notre propre invention personnelle, de l’intuition originelle qui combine, résume tout, cherche un appui dans le

  1. Écrit en Mai 1887.