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ensemble le contraste des complémentaires et la concordance des analogues (en d’autres termes la répétition d’un ton vif par le même ton rompu). Il emploie l’action des blancs, des noirs, qui est tour à tour un repoussoir, un mordant et un repos ; il emploie aussi la modulation des couleurs et ce qu’on appelle le mélange optique.

Par exemple le corsage orangé de la femme couchée sur le divan laisse voir le bord de ses doublures de satin bleu ; la jupe de soie violet foncé et rayée d’or. La négresse porte un boléro d’un bleu clair et un madras orangé, trois tons qui se soutiennent et se font valoir l’un l’autre, à ce point que le dernier rendu encore plus éclatant par la peau bronzée de la négresse a dû être coupé avec des couleurs du fond afin de ne pas s’en détacher avec trop de violence. Ces contrastes, on le voit, sont des juxtapositions des complémentaires et des analogues.

Il faut tempérer le contraste sans le détruire, il faut pacifier les tons en les rapprochant : la femme qui est assise près de la négresse et qui a une rose dans les cheveux porte un demi-pantalon vert semé de mouchetures jaunes, tandis que sa chemise de soie présente un ton qui est modifié par un imperceptible semis de fleurettes vertes. Mais ce n’est point isolément, c’est par séries qu’il appose des tons et les entrelace, les fait se pénétrer mutuellement, se répondre, se mitiger, se soutenir.

Noce juive au Maroc. — Le ton chaud dans l’ombre et le ton froid dans le clair, il en résulte une sensation particulière, celle de la fraîcheur sous un ciel d’Afrique.


Lorsque je vis Delacroix en 1859, il était beau comme un tigre ; même fierté, même finesse, même force.

C’était à un bal officiel de la Préfecture où l’on m’avait dit qu’il se trouverait. Mon frère Ernest m’y accompagnait et ne le connaissait pas plus que moi ; mais il me désigna d’instinct une