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cuivre avec cette assurance de l’artiste pour qui le procédé a cessé d’être rebelle. Car, sans insister sur cette habileté matérielle qui n’en ferait qu’un artiste secondaire, il se recommande par un mérite plus important et qui lui donne une place unique parmi les aquafortistes contemporains : c’est qu’il crée.

À toutes les ressources du praticien subtil et consommé, il joint encore les qualités plus élevées du penseur et le charme de l’imagination. Et certes, en est-il de plus imprévu et de plus varié dans ses fantaisies ? Paysages, marines, batailles, intérieurs, sujets de genre et des plus variés servent tour à tour de prétexte à cette imagination vagabonde pour manifester çà et là ses plus riches caprices et embellir tous les objets auxquels elle s’attache dans le libre champ qu’elle parcourt.

C’est parmi les dessins à la plume qu’on doit classer la Famille tartare en voyage, les Vieilles maisons, etc. Ici, l’auteur est plus vrai. Ce procédé, qui permet la retouche, lui permet aussi d’approcher davantage de la nature, pour laquelle il a toujours eu une humble vénération. — Il n’est pas inutile de relever ici l’erreur répandue par quelques critiques, qui ont beaucoup trop dit que M. Bresdin descendait trop directement des maîtres mystiques de l’Allemagne. Certainement, on reconnaît chez lui une communion ardente avec Rembrandt, et surtout Albert Durer.

L’amour des maîtres n’est pas un bien grand défaut et ne blâmons pas trop l’archaïsme. Lorsqu’il est bien compris, l’archaïsme est une sanction. L’œuvre d’art descend directement d’une autre œuvre ; si l’étude de la nature nous donne les moyens propres à manifester notre individualité, si l’observation et l’analyse patiente de la réalité sont les premiers éléments de notre langage, il n’en est pas moins vrai que l’amour du beau, la recherche des beaux exemples, doit incessamment soutenir notre foi. Nulle surprise alors si le fervent disciple offre parfois la faible image d’un dieu qu’il cherche, qu’il adore.

Heureux même tous ceux qui se sentent assez dignes, assez