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et l’ombre projetée par les corps n’y est pas visible. À l’horizon les montagnes ne seront plus qu’une arête qui se découpera sèchement sur le ciel, comme en un décor.

Puvis de Chavannes est presbyte par abstraction : il a dû réfléchir longtemps avant de peindre et de trouver sa voie, cette voie discutée et contestée comme toutes celles qui découvrent une intelligence personnelle. Bien lui a valu pourtant de la trouver et de la suivre, puisqu’il a pu nous livrer son esprit sans réserve, peindre son rêve, et faire en un mot une œuvre que l’on imite et qui restera : il a trouvé un style.


COURBET

Un peintre qui fut célèbre et qui présida longtemps les jurys officiels vient de faire amende honorable devant les tableaux de Courbet exposés dans la salle des Beaux-Arts, tableaux assez variés, de toutes dates et qui peuvent donner du maître une idée définitive et complète. Ce ne sera certes pas ce retour exprimé par une personne d’un talent retardataire qui pèsera beaucoup sur l’esprit de ceux qui jugent, ni qui pourra sensiblement faire avancer l’heure de la justice ; car la justice, comme la gloire, vient à son heure. Les grandes œuvres traversent le temps, rayonnantes et paisibles ; autour d’elles, lentement, la vérité s’élabore à travers les obstacles mis par l’actualité autour de leur puissance, et malgré les maigres propos de l’erreur ou de la sottise, elles durent, elles vivent, elles triomphent et s’imposent.

L’honnête aveu de l’académicien, en faisant sourire, éveille aussi des tristesses : tous ceux qui souffrent, tous ceux qui pensent, tous ceux qui regardent l’art réel tel qu’il paraît en dehors des règles d’une école, regretteront qu’un tel retour exprimé sur des jugements du passé soit impuissant à prévenir des erreurs futures ; il