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ces deux mondes dont il a très nettement la vue, sans jamais se laisser absorber de trop près par la nature extérieure, ni perdre pied, non plus, dans les concepts et l’invention, où bien des esprits élevés se sont perdus.

Ce qu’il faut apprécier dans ces nouveaux ouvrages, c’est la mesure, la maturité du fruit dans l’exécution. On a vu de récents pastels qui révèlent en leur auteur un ouvrier habile et rare. La Nuit est la simple représentation d’une masure, près d’un jardin, sous un ciel sombre où brillent quelques pâles étoiles. Un rayon de lune tombe avec son mystère sur le toit, sur la porte, où va frapper dans la pénombre une personne humaine imperceptible et présente. Rien n’est plus simple et cependant plus nouveau, plus poétique que ce modeste petit cadre qui suggère le rythme berceur d’une belle strophe. L’auteur a peut-être illustré là un verset du cantique de Salomon : « J’étais endormie, mais mon cœur veillait, voici la voix de mon bien-aimé qui heurtait, disant : « Ouvre-moi, ma sœur, ma grande amie, ma colombe, ma parfaite, car ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux des gouttes de la nuit ». C’est une page de la Bible, avec sa poésie lointaine, ses lignes simples, son large style oublié : il se répercute dans un art dont Cazin a parfois le secret.

C’est ici l’occasion de méditer sur des travaux qui ne sont autres que des paysages historiques, vraiment sincères ceux-là, et qui prouvent souverainement que le paysage de style est une mode, une forme traditionnelle de notre art plastique qui est légitime et renouvelable quand on l’affirme par les facultés propices.

Voyez aussi le Chemin et comprenons qu’il n’est point question nullement du sentier bordé de cultures, où l’on se promène le dimanche hors banlieue. On a peint le chemin, non pas un chemin : c’est-à-dire une donnée prise au sens général. La route monte vers un coteau élevé sous un azur plein d’ardeurs vives et de lumière. Un œil simplement littéraire pourrait y voir le symbole et l’image de la vie dans ce chemin montant, dont la ligne organique