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dites-lui que, pour cet art expressif dont il parle, il faut, au contraire, en me servant de sa belle expression, « ausculter avec myopie le brin d’herbe ou le caillou ».

C’est après avoir dit cette sorte de chapelet que l’imagination prendra l’essor et, avec elle, toute l’ébullition, toute l’exaltation nécessaires. Outre la ressource de conserver en carton des documents (toujours vivants et instructifs), même lorsque le papier qui les fixe aura jauni. Il se passe ainsi, quand on a fixé par le menu, obstinément, patiemment, tous les replis de sa vie, une sorte de puissance imaginative infusée, prête à jaillir ; elle est elle-même la source de cet art suggestif.

Je ne vous parle ici que de moi ; mais je fais aveu sincère : j’ai dû passer par des études qui sont, en quelque sorte, le contraire du vitrail que votre ami a vu. Il faut que le peintre ait chez lui, sous la main, des éléments fixés. Je ne crois pas que l’on puisse s’en distraire. Aucune mémoire visuelle n’y suppléera.

Je sais que la terre tourne, que tout passe, et même qu’il est nécessaire que les Dieux changent, comme l’a dit Renan ; mais je ne saurais, à la minute où je respire et vous écris, penser de mon art autrement : manger du morceau par analyse la plus attentive et la plus minutieuse, le crayon à la main : voilà mon régime.

J’y ai failli aux heures du péché. Mais le repentir est une nouvelle innocence quand il est suivi de la réhabilitation par l’action réparatrice. Action qui ne serait pas venue sans le péché (autrement dit expérience — autrement dit connaissance). Et je vous prie de croire que douce et légère est la sérénité qui découle de cette connaissance de soi !

Que votre ami ne se cherche pas dans des formules, des doctrines ; qu’il travaille : l’oracle lui parlera, comme par surprise, à la minute où il aura le pinceau à la main. Non, quand il réfléchira.

Pas tant d’analyse, sauf celle des matières qu’il emploie, et qui l’attirent. Elles détiennent, elles aussi, en elles-mêmes, une part du secret. Elles sont de meilleur conseil que les maîtres.