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témoin d’erreurs sincères et de l’inégalité du talent. L’homme est alors visible chez l’artiste, et celui qui regarde son œuvre est plus près de lui.



1909, 27 Juillet. — Elles sont vraiment intéressantes, un fonds d’idées très riches : Quel analyseur de sa propre nature ! Il serait à désirer, s’il veut trouver la paix, le bonheur, qu’il fermât son intelligence, sa lucidité trop consciente (lumière de mineur) pour ne plus s’occuper que des simples substances qu’il emploie.

S’il veut connaître mon expérience, elle est dans ce que je vous dis là : Peindre, peindre ; ne se trouver que dans la pâte, le pinceau à la main. Ensuite, ne penser à rien et « fumer sa pipe ».

Quant à ce qu’il veut savoir aussi de l’étude du modèle : tous les maîtres présents et ceux du passé ont conseillé, exigé l’étude de la nature. Mais point en « fumant la pipe », non, très activement, au contraire, le crayon ou le pinceau à la main, avec, pour compagnes, toute la raison et l’intelligence dont on est capable.

Bresdin, il est vrai, ne travailla jamais d’après nature ; mais c’était chez lui de l’impuissance : je le vis une fois tenter de faire le croquis d’un cheval arrêté devant sa fenêtre. Il commença par l’oreille, et, finalement, la tête était plus grosse que le corps en son entier. C’était l’impossibilité la plus enfantine de formuler ce qu’il voyait. Mais, remarquez que, pour les travaux aux éléments minuscules qu’il faisait, sa mémoire pouvait y suffire. Il en est autre chose de la peinture décorative, de celle que votre ami appelle « peinture musicale », et qu’il serait mieux de désigner ainsi : surface morale suggestive.

Dites-lui que s’il veut connaître ce qui est de selon moi, je veux dire ce qui est de mon acquisition patiente et dernière,