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l’autorité.

légende soit aucunement fondée en fait, nous la prenons pour tout autre chose. Acte de foi, affirmation confiante et hardie, elle dit que la justice, le vœu secret de tous les cœurs, n’est pas une triste duperie, que la fraternité entre les hommes n’est point une chimère. Convaincus qu’il est possible de réaliser leur idéal, des fervents ont raconté, ils ont même cru, que leur rêve avait déjà reçu accomplissement, que cela s’était vu… Où ? — Bien loin, bien loin, à tous les bouts du monde — chez les Hyperboréens — chez les gymnosophistes de l’Inde — chez les Éthiopiens — dans le royaume du Prêtre Jean — dans celui de l’Eldorado — et aussi dans l’abbaye de Thélème.

—  Et rien du gouvernement ?

—  En effet, nous l’avions oublié. Ce qui nous excuse, c’est que les Aléouts n’en avaient pratiquement pas avant que les Russes fussent venus s’imposer. Personne ne commandait, personne n’obéissait. Les baleiniers et les angakout exerçaient une influence prédominante, en vertu de leur intelligence et de leur bravoure reconnues pour supérieures ; mais quiconque pouvait les contredire, s’il lui plaisait. Les vieillards aussi se géraient en conseillers publics ; on s’en rapportait à eux, parce qu’on le voulait bien. Les îles importantes, les grandes agglomérations, étaient arrivées à une manière de représentant. Un Tajoun[1], président élu, centralisait les informations, gouvernait à la papa. On l’exemptait des corvées, et des rameurs étaient attachés à son bateau d’office, au Bucentaure d’Ounimak

  1. Ou Taljoun, Toïôn