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ASSOCIATION OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

sa conscience et sa volonté. — Chacun a peur de sonder le problème jusqu’au fond, chacun a peur de se trouver injuste, et cache son remords dans quelque phrase vide et sonore. Chacun a peur… Et c’est précisément parce que chacun a peur, que personne ne devrait craindre ; si la faute est commune, personne n’a de reproches à faire aux autres !

Quoi qu’il en soit, ce principe, prétendu absolu, change avec les temps et les lieux, il se modifie avec l’histoire, il diminue à mesure que les progrès grandissent. Sous sa forme catégorique, il avait créé l’esclavage, qui s’est peu à peu mitigé en servage. Dans notre période actuelle de transition, le pauvre est libre et il ne l’est pas, et cet état contradictoire est désigné sous le nom de Prolétariat.

Discuter le principe du Propriétariat absolu, nous ne le ferons pas, par plusieurs excellentes raisons, dont la première est que ce serait peut-être dangereux, la seconde que ce serait parfaitement inutile. C’est le droit du plus fort, et ce droit ne se raisonne pas, il s’impose. — Parfois on a vu le travail s’imposer au capital. Alors il commandait en maître, et ne consentait pas à parlementer. Le plus souvent, c’est le capital qui a joué le rôle du despote, mais il a dû entrer malgré lui dans une phase plus ou moins constitutionnelle, celle de la commandite avec un certain taux d’intérêt. Plus l’intérêt est élevé, plus les conditions économiques sont imparfaites. Plus l’intérêt baisse, plus la Société monte.

Est-ce à dire que l’intérêt devra un jour baisser jusqu’à zéro ? — Il nous semble que non. En tout cas, ce zéro semblerait ne devoir être atteint que dans des périodes indéfiniment reculées. Qu’il nous suffise de constater que les revenus du capital se modèrent, à mesure que son omnipotence déchoit ; avec une puissance médiocre, il n’a plus que des prétentions moyennes.

Donc le capital sera d’autant moins attaqué et il sera d’autant plus respecté qu’il sera moins redoutable. Au droit strict du capital de prélever pour lui tout seul la totalité des bénéfices acquis par le travail se substitue peu à peu un droit plus large, plus doux et fraternel. Le capital, dit le proverbe, « n’a jamais prêté qu’aux riches ; » il est d’autant plus prévenant que l’on a moins besoin de lui. Dès que les travailleurs seront à leur aise, le capital se fera leur officieux. Et d’ores et déjà les classes ouvrières pourraient, avec un peu de bon sens et un peu d’instruction, se passer purement et simplement du capital qui ne voudrait pas traiter avec elles sur le pied d’égalité ; elles devraient pour cela s’adresser à quelqu’un de plus riche que tous les banquiers et fermiers généraux, à savoir M. Tout le Monde, celui-là même qui a plus d’esprit que M. de Voltaire.

En résumé : quand le capital était tout-puissant, il était seul à partager. Maître de tous, il était haï de tous, et ses esclaves se vengeaient en l’appelant impie et usurier. Mais à mesure que sa toute-puissance décroît,