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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE

bué aux clients, au prorata des achats qu’ils ont faits pendant le trimestre échu, les membres recevant une part légèrement plus forte que les non-membres. Les fondateurs de la Société n’ont pas voulu que tous les profits fussent absorbés par les actionnaires, et ils ont voulu qu’une part en fût laissée à ceux qui les ont produits. C’est très-habile, c’est très-juste, et cependant assez nouveau.

Les fonds de réserve sont fortement constitués. Le matériel ayant toujours été évalué dans les comptes sociaux au-dessous de sa valeur et un pourcentage considérable ayant toujours été alloué pour sa dépréciation, on estimait déjà en 1858 que si l’association venait à liquider, chaque souscripteur recevrait 123 fr. pour chaque 100 fr. versés.

Les dernières nouvelles que nous ayons de Rochdale nous annoncent que la Société des Pionniers avait clos la campagne 1860-1861 avec un nombre total de 4 000 actionnaires environ, par un bénéfice de plus de 450 000 fr. réalisé sur un capital social de 1 000 000 de francs environ. À première vue, les rapports du premier semestre 1862 sont moins favorables, et cependant ils le sont en réalité bien davantage quand on réfléchit à la misère intense qui accablait déjà la population manufacturière du nord de l’Angleterre. En juin, la Société se composait toujours de 4 000 membres, et le capital social d’un million. Mais les ventes s’élevaient à 1 830 723 fr., soit à 300 000 fr. environ de moins que pendant le semestre précédent ; le profit des deux premiers trimestres faisait présager pour l’année entière un bénéfice net de 45 %. La société annonce tenir à la disposition des actionnaires un capital sans emploi de 300 000 fr., qu’ils pourront retirer pour faire face aux besoins de la crise.

Voilà certes un brillant succès ! Obtenu comme il l’a été après plusieurs années d’efforts aussi pénibles que persévérants, il est bien mérité. Toutefois, malgré toute l’habileté, toute l’énergie, toute la bonne volonté des Pionniers, leur œuvre n’aurait pas abouti à ces résultats magnifiques, si leur système n’avait pas été doué en lui-même d’une vertu intrinsèque. C’est le principe de l’association qui a fait ces merveilles.

Dans cette histoire de la Coopération de Rochdale, dans ce « roman par Doit et Avoir » ce qui nous étonne le plus, c’est moins qu’un millier de francs en ait produit plusieurs milliers ; ce sont moins les 30, 35, 40, 45 ou 50 % de bénéfice net sur le capital engagé, que l’exiguïté des chiffres des frais généraux et spéciaux, pour la manutention et l’entretien des magasins, pour le salaire des employés, pour la direction et pour la gestion de l’entreprise, pour les impôts et loyers, etc. Ce chiffre, qui l’aurait deviné ? ne s’élève qu’à ¼ % du mouvement d’affaires. Qu’en diront nos banques et nos compagnies de chemins de fer ? qu’en diront nos ministères ? qu’en diront notre gabelle et notre administration des Droits réunis ? qu’en dira notre Direction des douanes ?