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journal de la commune

doute, on s’attarda dans les cabarets à déjeuner. On s’était remis cependant en marche, les plus pressés en avant, les autres échelonnés au hasard de leur force ou de leur bonne volonté. C’est alors que fondent sur eux tout d’un coup l’artillerie et la cavalerie descendant à toute bride de St-Germain, chassant et refoulant devant elles les gardes nationaux. Ebaubis et dans le plus complet désarroi, ceux-ci évacuent successivement Bougival, La Jonchère, La Malmaison, Chatou, Rueil et Nanterre. En même temps des soldats descendus de Versailles garnissaient sur les hauteurs de la Celle Saint-Cloud les ouvrages construits par les Prussiens et s’y retranchaient pour fermer la route. Aucun des soldats n’a songé un instant à lever la crosse en l’air, ils sont précédés par les gendarmes, ils ont des argousins dans le dos, — on s’est fait, on se fait probablement encore de déplorables illusions sur leur compte. Plusieurs ont raconté avoir vu le cadavre de Flourens ; les gendarmes ont fusillé d’anciens troupiers ; beaucoup de prisonniers ont été ramassés et conduits à Versailles, mais dans la déroute on n’en peut savoir le nombre ; on sait seulement que l’équipée, car la tentative qu’avant-hier au soir et qu’hier encore on pouvait croire un élan d’héroïque fraternité, aujourd’hui, personne ne s’y trompe plus, ce n’est qu’une autre étourderie de ce pauvre Flourens.

Mais si l’autre colonne, celle commandée par Duval réussissait ? Hier lundi, elle s’est avancée vers Fleury, Clamart, elle s’est emparée des abords du château de Meudon et de la redoute de Châtillon qu’elle a prise aux troupes versaillaises, qui ne s’attendaient pas à ce brusque mouvement ; mais quand les gardes nationaux se sont vus assaillis par les batteries du château de Meudon et par celles des hauteurs de Clamart, ils ont battu en retraite, car ils étaient partis sans artillerie, sans vivres, sans munitions, pour conquérir Versailles.

C’est pour reprendre la redoute de Châtillon qu’a été mandé ce matin, de la place Vendôme, le bataillon auquel j’ai appartenu hier pendant quatre heures. Je puis témoigner, hélas ! qu’il était démuni de tout ; avait emporté des munitions celui qui par hasard en possédait chez soi. On avait pensé naturellement que les munitions — des vivres,