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journal de la commune

route en avant, mais pour les autres impossible de les rallier. C’était un désordre insensé. J’en ai vu qui, furieux tiraient en l’air contre la forteresse ; un des nôtres, plus fou encore, a tué le cheval qui traînait un fourgon. Jamais on n’a vu sottise pareille. Ne pas savoir si le Mont Valérien — rien que ça — est pour ou contre nous ! »

Allons, l’expédition débute par un échec. Nos gardes nationaux sont novices, grâces en soient rendues à M. Trochu, les quatre cinquièmes n’ont jamais vu le feu. Je commence à croire que nos gens ont eu grand tort de faire leur coup de tête, en répondant par une attaque improvisée à une attaque longuement réfléchie. Quand on a le bon droit pour soi, on est bien fort en se tenant strictement sur la défensive… Mais trêve à des réflexions et moralités qui ne tiendraient pas un instant contre la nouvelle d’une victoire. Les événements sont lancés, impossible de les retenir.

On affiche :

« Colonel Bourgoin à Directeur Général, 11 h. 20.

» Bergeret et Flourens ont fait leur jonction. Ils marchent sur Versailles. Succès certain. »

Bergeret et Flourens étaient les deux généraux qui devaient contourner le Mont Valérien. On ne nous dit rien de l’échec subi par Bergeret. Est-ce que son avant-garde ralliant Flourens suffit pour assurer le succès ? Quoi qu’il en soit, le Directeur Général eût dû nous donner la vérité tout entière.

Nous allons, nous venons dans une perplexité cruelle, dans une attente pesante. Que Versailles est loin !

Sur le soir, nous prenions notre repas, sombres et silencieux. Tout d’un coup, nous entendons le roulement du tambour battant la générale dans notre quartier. Le cœur nous en palpite : Aux armes citoyens ! En levant la tête, vous voyons la grande Marseillaise de l’Arc de Triomphe. Elle vole dans les airs et, en passant, elle nous fait signe. Nous sommes trois frères, nous partons ensemble. Deux ont leur arme et un accoutrement militaire quelconque. Avec une main endommagée, je ne puis servir un fusil. N’importe, je serai de la partie : je porterai le sac des hommes fatigués, je ramasserai peut-être des blessés…