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journal de la commune

les hurlements de la mitrailleuse, les boulets piochent dans la barricade avec un bruit de grêle. Là bas, les combattants sont tués dans l’ardeur et l’excitation de la lutte, ils ne sont pas assassinés comme ici.

Les gens du quartier commencent à sortir : ils vont prendre connaissance de ce qui se passe au dehors. Ils reviennent avec des récits épouvantables. La berge du fleuve est parsemée de cadavres, les rues aussi. Dans certaines cours des corps morts sont amoncelés. On emporte les carcasses par charretées pour les enfouir dans des fosses profondes qu’on recouvre de chaux vive ; ailleurs on les asperge de pétrole, puis on les brûle ; on a vu un convoi de dix à douze omnibus remplis de débris humains.

Un ami qui nous apporte des renseignements nous montre les semelles de ses bottines imprégnées de sang…

Des deux côtés de la Seine un filet rouge coule le long des berges…

En plusieurs endroits, il y a des tas d’armes brisées, de fourniments, de képis, de vareuses, d’effets déchirés, de papiers et de registres brûlés ou fumant encore.

Dimanche 28 mai.

Tout ce matin, ou a entendu le canon tonner, on l’entend encore, c’est que tout n’est pas fini. Le cimetière du Père Lachaise, entouré d’une haute muraille dominant Paris avec sa multiplicité de tombes et de chapelles, est le dernier point dans lequel tient l’insurrection… l’insurrection, c’est le mot officiel, le mot de la déroute, et que nous disons nous-mêmes sans y prendre garde. Tout vaincu est fatalement un insurgé.

On nous raconte qu’au boulevard du Prince Eugène, de la place du Château d’Eau à la Bastille, le massacre a été effroyable : après avoir pris la caserne, les soldats jetaient par les fenêtres les gardes nationaux morts ou mourants. Les mairies sont encombrées de cadavres ; ils gisent par toutes les rues, l’air en est empuanté. Déjà l’on voit des chiens courir avec des quartiers d’homme à leurs crocs.

On remarque parmi les cadavres la prédominance des vieillards : ce sont les fidèles de 1848, ceux qui ont résisté à l’influence énervante de l’Empire et qui lui ont survécu.