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journal de la commune

Et comme ce que nous appelons notre âme est dupe de ce que nous appelons notre corps ! C’est alors que l’esprit se rassérène malgré lui, c’est alors qu’un désespoir plus sombre et plus sinistre devrait l’envahir. L’accalmie, le silence relatif annoncent la nouvelle fatale : la Bastille est prise, la grande citatelle populaire est envahie Maintenant que les 200 000 paysans ont fait leur œuvre bruyante, la fusillade meurtrière et la silencieuse bayonnette sont à l’ouvrage. C’est maintenant qu’on égorge, maintenant qu’on assassine, et, parce que le carnage est plus loin que nous ne pouvons voir, le massacre plus loin que nous ne pouvons entendre, la pensée se calme et le cœur s’apaise !

Samedi 27 mai.

D’instants en instants, nous entendons dans les gares de Lyon et d’Orléans, dans les chantiers, quelques roulements de feux de peloton ; une douzaine, deux douzaines de coups environ : ce sont les prisonniers qu’on fusille, les hommes que l’on a ramassés dans les caves et greniers et que trois pioupious et leur caporal ont cru suspects, des passants dont la physionomie déplaît aux policiers et mouchards qui pullulent dans nos rues, revolver à la ceinture, casse-tête à la poche, brassard tricolore à la manche d’habit, amis de l’ordre qui ont trouvé le moyen de ne pas servir la Commune en se réfugiant dans leur loge de concierge ou autre réduit. Ils se vengent des gardes nationaux du désordre qui ont été au feu et ont payé de leur personne, dénoncent les anciens soldats qui ont la maladresse de se laisser rencontrer en pantalon garance ou en casquette militaire, par conséquent coupables de trahison ou tout au moins de désertion en face de l’ennemi : Fusillés, fusillés ! De derrière nos rideaux, nous en voyons passer de ces malheureux désarmés, bourgeois ou ouvriers, en civil ou avec quelque pièce d’uniforme, ils marchent droit, d’un pas ferme et fier, mais la figure pâle. Dans une heure, ils seront morts.

La Bastille prise, les quartiers populaires du Temple, de Saint-Antoine, de Belleville et du Père-Lachaise restent à forcer.

Sous le ciel lourd de pluie, les bouffées de vent apportent