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journal de la commune

nières nuits, nous ne nous sommes pas réveillés dans un autre monde !

Toujours des hurlements de batterie, des pétarades de feux de peloton, la pluie grésillante des boîtes à mitraille. C’est vers le Génie de la Liberté, voltigeant dans les airs au dessus de la colonne de la Bastille que trois cents obusiers de l’ordre font converger maintenant leurs décharges. L’organisme nerveux est frappé, martelé, accablé par des sons rauques et discords, par mille bruits grinçants et stridents.

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On se dirait dans un atelier, dans un immense atelier, oui, c’est bien cela, mais un atelier dans lequel les mitrailleuses travaillent, un atelier dans lequel l’œuvre de destruction s’accomplit sur une immense échelle. Paris est transformé en une carrière. La poudre bruyante y fonctionne pour faire sauter maisons et palais ; les pics et fleurets y trouent des poitrines humaines. C’est une horrible cacophonie, l’infernal charivari de la haine et de la passion.

La moitié de notre horizon est envahie par deux incendies, celui des locaux de la gare de Lyon et celui de l’immense grenier d’abondance de la ville de Paris, farines, conserves, riz, provisions de toute nature brûlent et flambent, je ne sais combien de millions qui s’en vont en fumée. On nous dit qu’avant d’être égorgés, les insurgés ont eu le temps de barbouiller ces édifices de pétrole et d’y frotter quelques allumettes chimiques. Naturellement, les obus versaillais n’y sont pour rien : c’est du moins la version orthodoxe, et il serait funeste de paraître en douter… De chaque fenêtre, de longues langues de flamme dardent des étincelles de fumée violacée dans les spires de fumée charbonneuse : on se rappelle les hauts fourneaux du Black county, des séries de cheminées brûlant comme des soupiraux d’enfer.

Le ciel s’est enfin attristé, le soleil splendide des jours passés s’est voilé… on distingue des nuages gris de la pluie les nuages d’incendie à leurs reflets bleuâtres et terre de Sienne. Un dépôt d’omnibus, un magasin de fourrages brûlent tout près et, pas loin, l’Hôtel de Ville depuis plusieurs jours. Des incendies, il en est sur tout le pourtour de l’horizon… Mais on les regarde sans émotion, ils sont couleur locale et, comme on dit en argot d’atelier, ils font