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journal de la commune

valent les horreurs présentes, les horreurs passées et celles qui vont encore nous accabler ! » Et, de son côté, le bourgeois ruminait en lui-même : « C’est toi révolutionnaire de malheur, avec tes confrères et complices qui, par ton obstination criminelle, oblige les amis de l’ordre à te fusiller, ce que je ne regrette point, et à démolir ma maison et mon magasin, ce dont je ne me consolerai point. »

On ruminait de part et d’autre ces acres pensées, quand soudain des pas lourds et un cliquetis de ferraille se font entendre : c’est la Propriété, l’Ordre et la Religion apparaissant, sous la figure de trois soldats en pantalon rouge, la figure cramoisie de sueur, de vin et de colère. Ils descendent les degrés de la cave, la bayonnette sanglante en avant : « Où sont-ils ces canailles, où sont-ils ces lâches ! Nous ferons leur affaire ! »

Tout aussitôt les bourgeois de notre société se précipitent vers eux et les saluent par des cris de joie réels ou affectés : Ah ! vous voilà, nous sommes les amis des Versaillais ! Et les bourgeois de les entourer, de toucher le bras, les épaules des soudards avec des mouvements magnétiques et caressants, tandis que deux ou trois jeunes filles s’évanouissent ou à peu près. Ces cris, ces félicitations, ces attouchements et deux bouteilles de vin apprivoisèrent bientôt deux lignards, mais le troisième, un galonné, fouillait de ses yeux gris et durs l’obscurité de la cave ; il scrutait les physionomies, interpellait de ci de là, objectait avec une colère froide : une victime de plus, c’était peut-être un chevron de plus. Tandis qu’il récriminait, un de ses collègues s’attendrissait et montrant un revolver avec vanité : il est tout chaud encore d’un insurgé auquel j’ai ouvert le ventre. Et l’autre ajoute : Oui, nous en avons pris deux cents et nous les avons fusillés. Notre bataillon est posté le long du quai, nous fouillons les maisons, jardins et sentiers ; du reste fit le galonné en s’éloignant avec ses hommes, personne de vous ne sortira et, à la porte de chaque maison, nous plaçons une sentinelle.

Vendredi 25 mai.

Harassé, abruti, abasourdi, j’ai dormi dans un cauchemar moins affreux que la réalité. C’est à se demander si c’est bien la terre que nous habitons, et si, après une de ces der-