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journal de la commune

rivage, notre volonté est inutile, nos efforts sont vains, notre espoir est ridicule, et le bon sens est absurde. Quand le flot la soulève, la méduse agite sa masse confuse, bras, rubans et tentacules grouillent et remuent, puis retombent dans le vide, inertes et paralysés. Nos petites existences sont portées par de grands événements. Maintenant la vague ramène le mollusque à la grande mer, source de vie ; maintenant la vague le rejette sur le roc contre lequel elle le brise, lambeau par lambeau. Nous ne sommes qu’un accident perdu dans l’ensemble. Ce qui nous est personnel et individuel, ce qui est vraiment nous est mesquin, somme toute, et sordide. Mais quant à la vie générale, quant à l’immense histoire universelle, qu’elle nous touche, et vous saurez qu’elle est aveugle, qu’elle est cruelle !

Nuit de mai splendidement belle, d’une beauté de Gorgone et d’Euménide.

La lune brille avec une douce majesté dans les vastes cieux. La Seine apporte des paillettes d’argent dans un lac d’or pâle. Un vent doux et frais se glisse çà et là en frôlant les feuilles palpitantes et les fleurs amoureuses.

Au second plan, le fleuve s’élargit en un étang de fer fondu, c’est la réverbération des incendies : l’eau, la ville, le ciel flamboient. Contre la masse rougeoyante des Tuileries se profilent les noires tours de Notre-Dame. Jusqu’au zénith les flammes lancent des panaches de fumées rutilantes, sanglantes comètes.

Un rossignol vocalise dans les arbres, on l’entend parfaitement, malgré le roulement grondant des canonnades incessantes. Et toute la nuit on distinguait dans l’effroyable cacophonie le tocsin douloureux de Belleville et de Ménilmontant, s’arrêtant, reprenant, puis les appels désespérés des tambours battant la générale. C’est le glas de l’agonie.

Jeudi 25 mai.

Aucune fusillade ne se fait plus entendre de l’autre côté de l’eau. Vers 7 à 8 heures du matin, nous regardons le Panthéon : il est dépouillé de son drapeau rouge.

Le Panthéon n’est plus dorénavant que l’Eglise Sainte-Geneviève, une grande chapelle catholique, la contrefaçon