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journal de la commune

leur a ouvert toutes les portes. Ils disent eux-mêmes avoir franchi l’enceinte sans avoir tiré un coup de fusil. Les réactionnaires vont leur livrer le reste de la ville. Une autre poudrière vient de sauter. La fumée d’un énorme incendie noircit le ciel. On ne sait ce qui brûle. »

Est-il vrai ! La fin est venue ?

Dans la rue, silence singulier. Quelques groupes çà et là se parlent à voix basse. Au milieu d’un de ces groupes, j’avise un jeune libéral, très libéral, qui naguère, courait après moi pour me dire des choses aimables, je l’aborde :

— Eh bien ! quelles nouvelles ? — Il me répond, en me tendant un bout de doigt, négligemment : — « Oh ! ce que vous savez. L’armée de Versailles a effectué son entrée hier au soir. Elle a marché toute la nuit. Elle occupe tout un côté de Paris. Elle aborde maintenant la place de la Concorde. Elle va vite, comme vous voyez ! »

Je le salue. Cet ongle de l’index qui m’avait été offert par le jeune homme très libéral m’indiquait suffisamment quelle était la chance de succès laissé encore au parti de la Révolution.

Avec un ami, nous explorons le quartier. Nous descendons par la rue des Saints-Pères avec l’intention de traverser le pont. Arrivés sur le quai une balle siffle à nos oreilles. D’où venait ce messager de mort ? Nous regardons dans la direction indiquée par le bruit. Rien n’est en vue. Mais, retranché derrière une de ses persiennes fermées, quelque bon bourgeois « fait de l’ordre » à l’angle du pont, à l’instar de ces braves Marseillais qui canardent les moineaux du fond de leurs bastides.

Nous poussons dans ce massif des rues de l’Université, de Lille, de Varennes, Dominique et Grenelle-Saint-Germain. Nous aurions voulu entrer au Ministère de la guerre ou de l’Instruction publique, mais nous sommes arrêtés par des barricades de gardes nationaux : « On ne passe pas ! » Nous comprenons que ces Ministères sont déjà occupés par les Versaillais. Nous rebroussons chemin. À quelques angles de rues, on ébauche des simulacres de barricades ; mais les hommes qui y travaillent ont des figures inquiètes, sombres et soucieuses. Il n’est pas difficile de discerner, par contre, la jubilation intérieure de tous ces concierges, boutiquiers, marchands d’articles de sainteté, dévots et