Page:Reclus - La Commune de Paris au jour le jour.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
journal de la commune

Versailles nous enferme en un demi-cercle, l’armée prussienne en un autre demi-cercle, les deux demi-cercles se souderont en un investissement fatal. Qui sait la trahison qui se prépare ? Un vague effroi plane sur nos âmes.

Chacun a remarqué avec une sinistre inquiétude que les Prussiens ramassent leurs troupes de cinquante lieues à la ronde, renforcent leurs positions, creusent des fossés, élèvent des retranchements. En même temps ils ordonnent à la Commune de Paris, toujours en vertu des stipulations signées par Trochu et Favre, de dégarnir d’hommes et de canons les bastions qui leur font face, ils ne permettent que 200 hommes au fort de Vincennes ; ils sont rigoureusement informés de tous les faits et gestes des fédérés, ils pourraient forcer une ou plusieurs entrées ; ils seraient à la Bastille avant que nous n’ayons le temps de nous prémunir contre leur invasion. Il est certain qu’avec une honte de plus, Thiers et Favre ont préparé un mauvais coup de plus. Quel sera-t-il ?

Voilà donc où nous en sommes. Les Prussiens tout seuls n’ont pas osé faire l’assaut de Paris, chaque jour maintenant des Français le tentent, et peut-être des Français vont monter cette nuit les échelles que leur tendront les Allemands. Des Français, des Français comme nous, sacrifient l’honneur de la France. Mais nous en reste t-il encore de l’honneur ? — ils s’humilient dans la platitude, la vilenie et la trahison pour n’être pas obligés d’écouter la conciliation, pour n’être pas contraints de parler raison et bon sens, ils baisent la botte sanglante et crottée du Prussien pour se relever ensuite derrière son grand sabre et mordre Paris au cœur ! Et penser qu’ils sont nos frères, nos frères ennemis, c’est vrai, mais nos frères toujours ; et que l’Europe, qui assiste ahurie à ce spectacle sanglant, a le droit peut-être de nous confondre dans la même horreur, en s’écriant : « Ils sont frères ! » Mais qu’on le dise ou non, nous protestons dans notre conscience indignée, car jamais, jamais il ne nous est venu, ni dans la colère, ni dans le découragement, la pensée funeste de nous glisser derrière les Prussiens pour tomber sur les Versaillais !

Quoi qu’il en soit, advienne qu’advienne, nous ne bronchons pas, nous ne transigerons que loyalement et raison-