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journal de la commune

et s’engouffre. Ils sont dix à l’Hôtel-de-Ville qui sauraient, qui voudraient organiser, ils sont soixante-et-dix qui désorganisent tout aussitôt. Si quelque chose s’organise tout de même, c’est malgré les ignorants, les incapables et les médiocres qui lancent leurs ordres à tort et à travers ; l’organisation se fait d’elle-même en quelque sorte, toutes les masses se tassent et se classent, les multitudes se superposent fatalement suivant leurs densités spécifiques et se distribuent autour de leurs centres de gravité. Ah ! si Versailles nous en laissait le temps, ce serait un ordre admirable, certes, qui s’établirait dans cette grande cité… mais quand les astres crèvent sur vos têtes en pluie de mitraille !

Rochefort s’écrie ce matin avec un amer bon sens :

« La défiance, qui a été de tout temps la plaie du parti républicain, y est passée depuis les derniers événements à l’état de fléau. Pour peu qu’un homme ait joui de quelque autorité pendant quarante-huit heures, quinze voix, tout en se défiant les unes des autres, se réunissent pour s’écrier :

« — Arrêtons-le, il doit être vendu aux d’Orléans.

« Ce qui ronge la Commune désagrège le Comité central, énerve la Garde nationale, et finalement dissout la République, ce n’est ni le Prussien installé à nos portes, ni les obus de M. Thiers, ni les lois élaborées par M. Dufaure, ce qui nous tue : c’est la défiance.

« L’Hôtel de Ville se défie du Ministère de la Guerre ; le Ministère de la Guerre se défie de la Marine ; le fort de Vanves se défie du fort de Montrouge, qui se défie du fort de Bicêtre ; Raoul Rigault se défie du colonel Rossel, et Vésinier se défie de moi. »

De violentes discussions s’élèvent maintenant autour du nom de Rossel. Est-ce un grand bonheur, est-ce un grand malheur que cet individu, sur lequel nous n’avons encore que des données fort incomplètes, ne soit plus le capitaine de ce malheureux vaisseau de Paris, battu par tant de tempêtes, ballotté par l’ouragan ?

Rossel n’a pas donné sa mesure. On ignore ce dont il est capable, soit en bien, soit en mal. Avant qu’il fût promu au généralat en chef, on ne le connaissait que par sa rigueur excessive au Conseil de Guerre. On le dit d’une volonté