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journal de la commune

des fusils, les forcer à se détourner, ou mourir les premières, s’il le faut… Une fois nos maris morts, qu’aurions-nous d’ailleurs à faire avec nos enfants orphelins, condamnés comme nous à la mendicité ou à la faim ?

« Nous pouvons être quinze mille, nous pouvons être cent mille… Est-ce qu’il se trouvera un général français pour commander le feu, un soldat pour obéir à la face du soleil ?… Oui, nos cris vaincront le tumulte de la guerre, car l’amour est plus fort que la mort…

« Donc, citoyennes, mes sœurs, donnons-nous toutes rendez-vous d’un bout à l’autre de Paris, de maison en maison, de rue en rue, de quartier en quartier, et, au premier son du clairon ou du tambour, à quelque heure que ce soit du jour ou de la nuit, bien ou mal vêtues, sortons en foule avec nos enfants et marchons hardiment à côté de nos maris en leur donnant la main.

« Celle qui vous adresse cet appel vous donnera l’exemple. »

À ce cri du cœur, des femmes répondirent, mais non pas cent mille ni cinquante mille, de trois à cinq cents seulement. Je vis leur cortège sortir de la place de l’Hôtel-de-Ville, allant par l’avenue Victoria, des tambours marchaient en tête, elles allaient bras dessus bras dessous, agitant leurs mouchoirs aux cris de : Vive la Paix ! Vive la République ! En les regardant je frémissais d’un civisme religieux et solennel.

Deux heures plus tard, on voyait arriver au pont de Grenelle, du côté de Paris, une autre file de jeunes femmes du peuple, très proprement vêtues, raconte le Rappel, quelques-unes avec chapeau et robes de soie noire, précédées d’un drapeau que tenait d’une main ferme une grande et forte fille, taillée sur le patron d’Auguste Barbier. Plusieurs portaient des branches vertes. Devant elles une troupe de gamins chantaient le Chant du Départ.

« Où allez-vous ainsi ? » a demandé quelqu’un à une de ces vaillantes.

« À Versailles rejoindre nos maris ; ils vont fraterniser avec la troupe et faire sauter l’Assemblée. »

Les avant-postes ne les laissèrent point traverser les lignes et les manifestantes rentrèrent chez elles, harassées sans doute : on a fait à Versailles gorge chaude de ces in-