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journal de la commune

vous demandons rien pour ces gens-là, mais seulement pour les malheureuses victimes qui périssent, affamées ou blessées par des balles destinées à d’autres »…

Quand il ne s’agissait que des Prussiens, leurs parlementaires étaient toujours reçus avec les honneurs de la guerre. Nos officiers de Versailles faisaient parade de courtoisie, ils affectaient les manières les plus chevaleresques. Vous demandez deux heures pour recueillir vos blessés, pour ensevelir vos morts… prenez-en trois… prenez-en quatre » ! Mais entre Français et Français — quelle différence ! On n’est plus alors de simples ennemis, mais des frères ennemis, ce qu’il y a de plus atroce au monde, ce qu’il y a de plus cruel et de plus rancunier.

Enfin, quelqu’un a suggéré l’idée : Puisque Versailles ne veut pas consentir à planter son drapeau parlementaire devant l’insurrection, que d’autres le plantent pour Versailles ! Des tiers agiront pour des tiers ! Versailles et la Commune concéderont pour quelques heures, chacune de son côté, leur drapeau blanc à des membres de la Ligue qui iront l’arborer à Neuilly.

Pensif et triste, je me mêle aux milliers de curieux accourus de Paris pour voir les dégâts. Les rues grouillaient de monde comme un champ de foire. On chargeait à la hâte des meubles dans des voitures de déménagement ; dans des charrettes à bras, on emmenait des malades ; de distance en distance on tombait sur un groupe d’enfants hagards et blêmes, la mère épuisée par la famine, les fatigues et les insomnies, pauvres familles sans toit ni ressources. Des passants leur offraient quelque argent ; des délégués de nos vingt arrondissements leur promettaient asile et nourriture. Ces pauvres gens, que savaient-ils de MM. Thiers et Barthélémy Saint-Hilaire, de Lorgeril, Depeyre et Belcastel, de la monarchie constitutionnelle, de la pondération à établir entre le principe de centralisation politique et de décentralisation administrative ? Démolir une ville pour une question scientifique, quelle absurdité ! Mitrailler nuit et jour une population d’ignorants et d’innocents au profit du libéralisme du Journal des Débats… quel crime !

Le terrain troué et défoncé par les obus, était saupoudré de tuiles, d’ardoises, de plâtras, de décombres de toute