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journal de la commune

d’être admis aux Jésuites : on en sortait au moins riche après y avoir reçu une éducation agréable ; on en sortait poli, façonné, distingué quelquefois, très instruit souvent, et toujours riche et homme médiocre.

J’ai admiré le confort, l’ordre, la disposition pratique, l’entente raisonnée des choses de la vie derrière ces murs, à côté de ces magasins bien garnis, dans ces réfectoires, ces jardins, ces promenades, ces chapelles, ces bibliothèques. On pouvait certes passer l’existence la plus facile, la plus aisée, la plus exempte de soucis que mortel puisse imaginer. Pour un homme sceptique, égoïste et lâche, mais intelligent, sociable et jouisseur, pas de meilleur lot que d’être jésuite. Pourvu qu’on abdique une bonne foi pour toutes sa volonté, sa dignité d’homme, son indépendance, sa conscience et sa raison propre, le droit en un mot de dire « je suis moi ». on peut regarder avec le mépris le plus profond, avec le dédain le plus parfait tous les misérables humains qui travaillent et se fatiguent, qui luttent et se font rouer de coups, qui espèrent et qui désespèrent. Être un Révérend Père jésuite… mais, pour tous les agréments de la vie, cela vaut bien mieux que d’avoir seulement vingt mille livres de rente. Un seul inconvénient est attaché à cette facile existence, c’est que le Révérend Père ne peut quitter sa cellule (on appelle ainsi une chambre large et aérée avec vue sur un charmant jardin — qu’en plantant une petite cheville dans tel ou tel trou d’un tableau indiquant tous les endroits de l’établissement dans lequel il lui est licite d’aller.

Quelque chose qui décèle chez ces Jésuites une science profonde de la vie est l’art avec lequel ils savent se faire petits, modestes, insignifiants, médiocres. Ils possèdent ici tout un quartier, et le passant s’aperçoit à peine que ces bons religieux occupent deux ou trois maisons de pauvre apparence. C’est un art qu’ils ont appris des Juifs, que les Juifs avaient été obligés de pratiquer pendant tout le Moyen-Age, et qu’ils avaient peut-être rapporté d’Orient. Quelle différence avec nos hommes du monde, nobles et bourgeois, commerçants et industriels, qui dépensent le plus clair de leurs revenus en frais de présentation et qui se ruinent pour avoir l’air d’être riches ! Eux font semblant d’être pauvres, semblant d’être humbles, timide et peu nombreux.