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journal de la commune

virent s’agiter dans l’ombre des masses armées… Des baïonnettes reluisaient ci et là, on entendait par intervalles des claquements de sabres, le bruit de canons roulants, l’écho sourd des fantassins marchant, et, sur les pavés, le heurt sonore des sabots de chevaux, cavalcades lointaines. « Que signifiaient ces mouvements ? des changements de garnison, sans doute… ces troupes étaient transvasées d’un fort dans un autre fort ou de Paris à Versailles. » Les rares spectateurs se faisaient ces questions et ces réponses, hochaient peut-être la tête et continuaient leur chemin. Par le temps qui court on ne s’étonne plus de grand’chose, un bourgeois de Delft ou d’Amsterdam louerait volontiers notre flegme.

Les troupes allaient occuper en force les divers points stratégiques, bien connus de Vinoy depuis décembre 1851, bien connus de ses officiers dont les études se bornent depuis longtemps à la manière de guerroyer contre les Bédouins et surtout contre les Parisiens. Le gros des forces était dirigé contre les parcs d’artillerie de la garde nationale, Belleville, la Bastille, la place des Vosges. Vers trois heures du matin, les quelques factionnaires qui gardaient les canons de Montmartre, allant et venant dans leur solitude ennuyée ou bien dormant ou assoupis dans leurs postes, sont réveillés en sursaut. Des sergents de ville habillés en lignards se jettent sur eux, brandissent épées, baïonnettes et casse-têtes : « Rendez-vous ! » Derrière eux, une foule armée se précipite, escaladant les barricades, mettant main basse sur les canons, les braquant contre les postes. « Rendez-vous ! Rendez-vous ! » À quatre et cinq heures du matin, le coup avait réussi sur tous les points, tous les canons avaient été enlevés, quatre ou cinq cents prisonniers étaient emmenés, au prix de quelques tués et blessés seulement. Sur les places, au coin des rues, on affichait déjà une verbeuse proclamation de M. Thiers, annonçant aux bourgeois étonnés que la force avait passé du côté de la loi, que la victoire était à la justice, que les bons citoyens eussent à se rassurer, et qu’eussent à trembler les méchants, pillards et communistes.

Mais tout cela n’avait pu se faire sans bruit, sans que les deux tiers des gardes nationaux surpris s’échappassent dans l’obscurité à travers les ruelles, se répandissent dans tous les quartiers, criant aux armes ! Ils vont réveiller tous