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empire colonial

aussi frappantes que dans les villes du littoral maritime de l’ouest, surtout à Ephèse, où l’on se trouvait en pleine Phénicie. Les historiens peuvent en conclure que l’apport des mythes et des cérémonies s’était fait non de proche en proche par la voie de terre, mais directement, par le chemin mouvant des flots.

Le rôle des Phéniciens comme grands négociants et porteurs de marchandises dépassa de beaucoup en proportion celui qui échut plus tard à toutes les autres nations commerçantes. On oublie d’ordinaire que les « lois de la mer, les règles du droit international en vigueur sur la Méditerranée pendant le moyen âge sont en grande partie l’héritage des Phéniciens »[1]. Ce petit peuple, attaché à la frange d’un littoral, possédait le monopole des grandes navigations dans la Méditerranée et fournissait à tous ses voisins les matières précieuses importées des extrémités du monde, aussi bien par les voies de terre où cheminaient les caravanes que par les voies de mer pratiquées des navires. Ils possédaient des comptoirs au loin dans les terres de leurs puissants voisins, dans le Delta, à Tanis, à Bubaste, à Memphis même, en Syrie et en Potamie, à Saïs, à Hamath, à Thapsaque, à Nisibis, qui se larguaient d’être de fondation sidonienne. Les Phéniciens, laissant à d’autres le rêve d’une domination universelle, s’arrangeaient aisément d’une sujétion sévère, mais concentraient en leurs mains le commerce de leurs oppresseurs[2].

Les objets de trafic dont les Phéniciens furent les porteurs à la grande époque de leur prospérité avaient d’autant plus d’importance relative dans les échanges mondiaux de ces temps que les articles de commerce étaient moins nombreux et que les coutumes religieuses et civiles se pratiquaient d’une manière plus solennelle et plus impérieuse : ainsi l’encens de l’Arabie, l’ambre de la Baltique, l’étain des îles Océanes présentaient à cause de l’éloignement du lieu de production et du mystère de l’origine un caractère presque divin. L’âge du bronze en Europe serait non pas l’irruption d’une race nouvelle qui aurait anéanti les sauvages primitifs de l’âge de la pierre, mais bien l’ère de la grande influence de la civilisation de l’Asie antérieure, créée par les Babyloniens, colportée par les Hittites à travers

  1. Ernest Nys, Recherches sur l’Histoire de l’Economie politique, page 57.
  2. G. Maspero, Histoire ancienne des Peuples de l’Orient, p. 235 ; — Elie Reclus, Notes manuscrites.