Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
472
l’homme et la terre. — rome

à combattre les maux par une série de lois limitant la grande propriété, instituant des colonies agricoles et accordant plus de droits aux Latins et aux Italiens. La haine des patriciens et l’ignorance de ceux dont ils prenaient la défense eurent bientôt fait disparaître ces réformateurs. Après eux, les conflits ne firent que s’envenimer, mais prirent la forme d’une lutte entre deux dictateurs, Marius et Sylla, César et Pompée, Octave et Antoine, dont l’un pouvait prétendre enforcer les revendications plébéiennes. Les peuples alliés qui combattaient les batailles de Rome, qui l’aidaient dans ses expéditions contre l’Ibérie et Carthage, contre les Gaulois et les Macédoniens, réclamaient le droit de cité que l’on avait accordé aux Latins ; mais ce droit, ils ne purent l’obtenir successivement qu’après de longues guerres intestines dont Mérimée nous a dressé un effroyable tableau[1], et même la fondation, au centre de la péninsule, d’une nouvelle Rome, désignée sous le nom d’Italica, depuis Corfinium, comme pour symboliser le droit égal de tous les Italiens à la domination du monde.

Quant aux prolétaires de Rome, ils continuaient de s’agiter, non pour avoir part égale avec les patriciens — leur ambition n’était pas aussi haute — mais pour accroître leur portion de butin sur les peuples conquis. Les guerres civiles, causées entre les classes par les appétits et les ambitions en lutte, furent aussi sanglantes que les guerres extérieures : les proscriptions succédèrent aux proscriptions, les massacres aux massacres, Mais là où tout sentiment de pitié disparut, où la bête humaine se montra dans toute sa férocité, ce fut dans les guerres serviles. En de pareils conflits on ne se donnait des deux côtés d’autre objectif que l’entre-égorgement. Objets d’horreur et d’effroi pour tous les hommes, les esclaves ne pouvaient que rendre haine pour haine, tuer, puis être frappés à leur tour. D’après la définition même de l’esclavage, aucun asservi n’avait droit à la justice. Qu’il fût innocent ou coupable, le fait importait peu à son maître : celui-ci avait le droit de le supprimer. D’après une ancienne loi romaine, qui ne fut pas toujours exécutée parce que l’intérêt du propriétaire s’y opposait, tous les esclaves qui, au moment du meurtre d’un patron, avaient habité sous le même toit que le meurtrier, devaient être mis à mort. Pendant le règne de Néron, un de ces abomi-

  1. Prosper Mérimée, La Guerre Sociale, p. 140, 163.