Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

l’imprévu des îlots, et l’accroissement de ses possessions d’outre-mer diminuait proportionnellement ses forces au lieu de les augmenter. Elle ne put même empêcher les marchands grecs de pénétrer en Bétique dès le septième siècle avant l’ère vulgaire, puis çà et là en Maurétanie[1].

La situation géographique de Carthage avait une autre conséquence, celle de forcer la République à recruter son armée parmi les mercenaires. Les Carthaginois proprement dits constituant une « sainte compagnie » ne pouvaient s’y trouver qu’en minorité infime, et même les sujets immédiats de l’Etat punique, les Africains de la Byzacène et autres provinces voisines, ne représentaient dans la plupart des expéditions guerrières que la moindre partie des troupes : un ramassis de pillards recrutés sur tous les rivages, des aventuriers de toutes nations, tels étaient les éléments principaux dont les généraux carthaginois étaient obligés de se servir et qui pouvaient, au moindre insuccès, se retourner contre eux, si la cause de l’ennemi leur paraissait offrir quelque avantage. Le récit des guerres puniques sur les rivages et dans les îles de la Méditerranée a montré plus de trahisons que d’opérations de guerre proprement dites. Le grand art des chefs était surtout de savoir acheter les hommes et de les retenir. Il est vrai qu’un grand nombre des valets d’armée ou rameurs de galères n’avaient pas vendu directement leur liberté, mais qu’ils avaient été payés comme esclaves à des traitants : c’étaient des malheureux que l’on menait à coups de fouet, mais qui n’étaient guère plus sûrs que les mercenaires.

Les guerres de Sicile, qui durèrent deux cents années, mirent les Carthaginois en contact avec les cités grecques de l’île et déterminèrent plus tard le choc qui se produisit entre Rome et Carthage : ce fut donc là que devaient se jouer les destinées du monde. La Sicile, terre centrale de la Méditerranée, offrant, malgré les détroits, un chemin relativement facile de l’Europe en Libye, était, par sa position même, indiquée comme le lieu de rencontre, le champ clos où se déciderait pour ou contre Rome le problème de la domination sur toutes les contrées riveraines de la mer Intérieure. Du haut du ciel, le cratère

  1. E. Lefébure, La Politique religieuse des Grecs en Libye, Bulletin de la Société de Géographie d’Alger.