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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

céleste, en dehors des luttes de la vie et du travail fécond, présageait un asservissement fatal. Les Romains, mis en goût de conquêtes et d’annexions fructueuses par les richesses de la Sicile et de Carthage, par les dépouilles de tous les pays environnants, ne pouvaient manquer de regarder vers les campagnes fertiles de l’Egypte comme vers l’héritage des forts. De même que les Anglais actuels ont pris la vallée du Nil parce qu’elle est un complément naturel de leur empire et qu’elle constitue la principale étape sur la grande voie de l’Angleterre à l’Inde et à l’Australie, de même que les Français ont envahi la Tunisie, non pour punir les « Kroumirs » mais bien parce qu’elle continue l’Algérie, les Romains n’eurent d’autre raison que leur avidité dans leurs relations avec l’Egypte. Ils ne manquèrent pas de prétextes, on en trouve toujours, une affaire de faux testament ou autres mensonges ; il suffisait que la contrée fût à la fois riche et incapable de se défendre, n’ayant pour armée que des mercenaires et non des citoyens. A force de présents prodigués aux grands de Rome, les Ptolémées purent éloigner le jour fatal, mais non le conjurer. On vit le roi frapper en suppliant aux portes des avocats romains ; rien n’y fit ; Jules César, Antoine, puis Octave entrèrent dans Alexandrie, sans y rien changer d’ailleurs, car l’Egypte était administrée comme une simple propriété rurale des rois, et les maîtres romains, devenus possesseurs à la place des héritiers d’Alexandre, n’eurent qu’à conserver greffiers et collecteurs de taxes. Les préfets, ayant tous pleins pouvoirs, subordonnés seulement à la volonté du César, purent diriger à la fois les finances, les tribunaux, les armées. Du reste, l’obéissance fut toujours complète : sous Trajan, une seule légion, bien que recrutée en grande partie sur le territoire de l’Egypte, suffisait pour maintenir toute la contrée[1].

Ainsi la terre du Nil, annexée sans qu’il eût été nécessaire de la conquérir, entra facilement comme partie intégrante dans l’immense empire méditerranéen, et l’on dit que, dans cette union politique et administrative, l’Egypte, gouvernée depuis plus longtemps et avec plus de science, fournit à Rome tout un personnel de scribes et de fonctionnaires. Pays vieilli, elle enseigna aussi l’étiquette à la cour d’Auguste qui, au lieu de copier César, préférait prendre pour modèle

  1. I. Grafton Milne, A History of Egypt under Roman Rule.